Depuis 2014, le Royaume-Uni participe aux frappes de la coalition internationale contre l’Etat islamique (EI) en Irak. Le 3 décembre 2015, ces frappes aériennes ont été étendues à la Syrie.
Les parlementaires britanniques ont voté, le 26 septembre 2014, en faveur de la participation de leur pays aux frappes aériennes de la coalition en Irak (524 voix pour ; 43 voix contre). Comme pour la France, cet engagement était justifié par une demande officielle émanant du gouvernement irakien. Mais en vertu d’un vote, le 29 août 2013, à la Chambre des Communes, qui n’avait pas autorisé une action militaire contre le régime syrien, accusé d’avoir utilisé des armes chimiques contre des populations civiles, les frappes britanniques étaient officiellement limitées à l’Irak jusqu’au vote du 3 décembre 2015.
L’évolution inquiétante de la menace terroriste, persistante depuis les attentats islamistes de Londres du 7 juillet 2005 (56 morts, 700 blessés), a certainement contribué à ce changement de perception stratégique. D’une part, la menace s’est aggravée sur les ressortissants du Royaume-Uni à l’étranger, comme en a témoigné, fin juin 2015, la mort de 30 touristes britanniques à Sousse (Tunisie), lors d’une attaque terroriste par un individu revendiquant son appartenance à l’EI. D’autre part, l’expansion sans précédent, au cours des dernières décennies, de l’islam radical sur le territoire national est aujourd’hui aggravée par le retour de Syrie et d’Irak de centaines de djihadistes britanniques.
Les attentats de Paris en janvier 2015, tout d’abord, puis le 13 novembre 2015, ont été déterminants dans la décision du Royaume-Uni d’étendre son engagement au théâtre syrien. Le 20 novembre 2015, la France a fait voter à l’unanimité au Conseil de sécurité des Nations Unies, la Résolution n°2249, qui qualifie l’EI de « menace mondiale et sans précédent contre la paix et la sécurité internationales». Bien que n’étant pas placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui prévoit l’usage de la force, la résolution autorise « toutes les mesures nécessaires » pour lutter contre l’organisation terroriste (cf. communiqué de presse, Présidence de la République, 21 novembre 2015).
Faisant référence à cette résolution et invoquant la légitime défense, comme l’avait fait le Président français pour justifier les frappes aériennes en Syrie (27 septembre 2015), le Premier ministre David Cameron a défendu devant la Chambre des Communes une motion sur l’extension des frappes aériennes à la Syrie (cf. The Guardian, 2 décembre 2015). Les parlementaires ont voté en faveur de cette motion par 397 voix contre 223.
Cependant, ce nouvel engagement en Syrie ne saurait masquer les difficultés que connaît l’institution militaire britannique, amoindrie par d’éprouvants déploiements en Irak (2003-2011) et en Afghanistan (2001-2014) et par des coupes drastiques dans les effectifs et dans le budget de la Défense, même si les engagements énoncés dans la nouvelle Strategic Defence and Security Review (SDSR), document sur la stratégie de défense et de sécurité nationales publié après les attentats du 13 novembre, semblent indiquer un infléchissement (cf. Malcolm Chalmers).
1. Un vote sur l’extension des frappes aériennes obtenu dans un contexte politique agité
Le 29 août 2013, à la Chambre des Communes, dans un pays encore marqué par les vicissitudes de l’intervention en Irak en 2003, 285 députés (contre 272), dont de nombreux députés conservateurs, s’étaient opposés à des frappes aériennes britanniques sur le régime syrien, conduisant certains commentateurs à évoquer un phénomène de « panique post-Irak » qui aurait paralysé les parlementaires (cf. The Guardian, 30 août 2013).
En réalité, des pilotes de la Royal Air Force (RAF) « embedded » avec les forces américaines et canadiennes de la coalition, participent déjà depuis 2014 à des frappes aériennes contre l’EI en Syrie, comme l’a révélé, en juillet 2015, l’association britannique de défense des droits de l’homme Reprieve (cf. The Guardian, 17 juillet 2013).
Ces révélations avaient mis le gouvernement conservateur en porte-à-faux. L’opposition travailliste avait critiqué sévèrement cet état de fait, accusant le gouvernement de passer outre la décision du parlement. Les libéraux-démocrates, anciens alliés des conservateurs au sein de la coalition gouvernementale, considéraient même qu’il s’agissait là d’« un abus de confiance du peuple britannique ». Le ministre de la défense, Michael Fallon, avait dû se défendre en arguant que les militaires britanniques, lorsqu’ils interviennent au sein d’armées étrangères, sont considérés «comme des troupes étrangères» (cf. Le Figaro, 17 juillet 2015).
Les attentats de Paris du 13 novembre 2015 marquèrent un tournant décisif dans ce débat. Le Premier ministre David Cameron inscrivit son appel aux parlementaires en faveur de l’extension des frappes britanniques au théâtre syrien, dans un plan d’action pour la Syrie, englobant les aspects militaires, diplomatiques et humanitaires du conflit. Ecartant tout déploiement terrestre, il se dit convaincu du fait que les capacités de frappes de l’armée de l’air britannique étaient désormais nécessaires pour permettre aux alliés de « dégrader et de défaire » l’EI.
Au sein d’une Chambre des Communes, où la majorité conservatrice avait été renforcée lors des élections législatives du 7 mai 2015, 397 parlementaires contre 223, votèrent en faveur de l’extension des frappes à la Syrie. Ce vote ne s’est cependant pas déroulé sans anicroche, David Cameron qualifiant les opposants aux frappes aériennes de « bande de sympathisants des terroristes », ce qui n’empêcha pas certains députés conservateurs de voter contre, tout comme la totalité des nationalistes écossais du Scottish National Party (SNP), forts de 56 sièges.
Quant à l’opposition travailliste, de graves dissensions s’y sont fait jour. Le Labour Party est en effet déstabilisé par la perspective de la publication du rapport de la commission d’enquête sur la guerre en Irak (2003) élaboré sous la houlette de Sir John Chilcot, publication repoussée au mois de juin 2016 en raison de son caractère sensible (cf. Nicholas Watt et Patrick Wintour). La décision de l’ancien Premier ministre travailliste, Tony Blair, d’engager le pays dans la guerre en Irak en 2003, est en effet au centre de ces investigations. De nombreuses incertitudes ont entouré le vote sur les frappes aériennes en Syrie. Celles-ci sont liées à la crainte d’aggraver la menace terroriste sur le pays ; aux risques d’escalade au Proche-Orient ; à la situation des victimes civiles et des réfugiés, ainsi qu’à des préoccupations concernant le sort qui serait réservé aux pilotes britanniques en cas de capture par l’EI.
Le nouveau leader du Labour Party depuis le 12 septembre 2015, Jeremy Corbyn, ancien président du mouvement anti-guerre Stop The War, est farouchement opposé à tout engagement du pays sur les théâtres irakien et syrien. Mais en dépit de ses consignes de vote, 66 députés travaillistes ont voté en faveur de l’extension des frappes en Syrie, provoquant ainsi la colère de nombreux militants du parti et s’exposant même à des menaces de mort sur les réseaux sociaux.
Une heure après la fin du vote, deux avions Tornado de la RAF, armés de bombes Paveway ont décollé de la base aérienne britannique d’Akrotiri à Chypre pour frapper des objectifs en Syrie, officialisant ainsi l’engagement du pays en Syrie.
2. La contribution militaire britannique au sein de la coalition contre l’EI en Syrie
A la suite de coupes drastiques dans les effectifs et dans le budget de la Défense et d’un sur-engagement sur des théâtres extérieurs, les chefs d’état-major tiraient, en 2015 (avant la publication de la SDSR), la sonnette d’alarme et soulignaient le risque de se retrouver avec des forces armées vidées de leur substance (cf. Ewen MacAskill).
A tel point qu’aux Etats-Unis, le Secrétaire à la défense, Ashton Carter, indiqua que si le Royaume-Uni poursuivait ses coupes drastiques, il courrait le risque d’être « désengagé » (cf. BBC News, 1er juin 2015).
De plus, une certaine démoralisation, qui s’était faite jour à la fin des années 2000, continue d’affecter les forces armées britanniques nouvellement engagées en Syrie.
A la suite des déploiements en Irak (179 morts) et en Afghanistan (453 morts), les multiples cas, révélés par la presse, de mauvais traitements réservés aux blessés de guerre par le personnel de certains hôpitaux britanniques (négligences, mauvaise qualité des soins, pénurie d’antalgiques) ; les réticences manifestées par certains services du ministère de la Défense concernant l’indemnisation des mutilés (cf. Matthew Weaver), ainsi que des rumeurs persistantes de non-renouvellement de contrat pour 2500 militaires blessés au combat (cf. BBC News, 12 novembre 2011), avait conduit les plus hautes autorités militaires à intervenir afin qu’un traitement digne soit réservé aux vétérans et à leurs familles (cf. Ned Temko et Mark Townsend). Ces tristes événements ont laissé des traces indélébiles dans l’institution militaire.
En dépit de ces graves difficultés, le Royaume-Uni a apporté sa contribution au combat mené contre l’EI par la coalition sous l’égide des Etats-Unis en Irak, en ayant assuré un tiers des vols de surveillance et en ayant mené 380 frappes aériennes à la date du 3 décembre 2015 (cf. Centcom News, 3 décembre 2015) dans le cadre de l’opération Shader.
Outre la participation des pilotes « embedded » de la RAF, les forces spéciales britanniques ont participé en 2015 au raid mené par les forces spéciales américaines pour capturer le terroriste de l’EI, Abou Sayaf, en Syrie. Un drone armé britannique MQ 9-Reaper a été utilisé en août 2015 pour tuer deux islamistes britanniques qui combattaient pour l’EI sur le territoire syrien (cf. Paul Rodgers).
Au plan de l’armement, les avions Tornado GR4, les missiles air-sol britanniques Brimstone (capacité « fire and forget »), les bombes guidées laser Paveway (« smart weapons »), ainsi que les drones Reaper de la RAF, sont considérés comme un atout pour la coalition (cf. Justin Bronk, 1er décembre 2015).
Ainsi, la contribution du Royaume-Uni est bienvenue dans le combat mené par la coalition contre l’EI, même si de toute évidence, les frappes aériennes demeureront insuffisantes pour anéantir la menace, comme le reconnaît d’ailleurs le Royal United Services Institute (Rusi), think tank consacré aux questions de défense et de sécurité, qui souligne que l’EI « ne pourrait être délogé que par des forces terrestres arabes crédibles et déterminées à reprendre rue après rue » (cf. BBC News, 3 décembre 2015).
3 L’aggravation de la menace terroriste au Royaume-Uni en provenance des théâtres irakien et syrien
En s’engageant en Syrie, le gouvernement conservateur entend réduire la menace terroriste, en dépit de l’affirmation du contraire par l’opposition travailliste et par les nationalistes écossais. Dans un contexte incertain, les autorités tentent à la fois de contenir la menace sur le territoire national, tout en assurant la sécurité des ressortissants britanniques à l’étranger.
Selon la BBC, fin décembre 2015, le nombre de citoyens britanniques qui seraient partis combattre sur le théâtre irako-syrien, pour la plupart aux côtés de l’Etat islamique, s’élevait à 700. Près de la moitié d’entre eux serait revenus sur le territoire national (cf. BBC News, 21 décembre 2015).
L’assassinat (22 mai 2013) perpétré avec un hachoir de boucher, en plein jour, à Londres, du jeune militaire, Lee Rigby, par deux islamistes britanniques d’origine nigériane, pour venger, selon ces derniers, les musulmans tués par les forces britanniques » à l’étranger, avait frappé les esprits.
Le cas de Mohammed Emwazi alias « Jihadi John », jeune britannique d’origine koweïtienne devenu bourreau de l’EI, continua de semer l’effroi parmi la population. A l’automne 2014, après leur capture en Syrie, Emwazi décapita David Haines et Alan Hennings, deux travailleurs humanitaires britanniques. Il fut également le bourreau d’autres journalistes (dont James Foley) et d’un travailleur humanitaire. Il aurait finalement été tué par une frappe américaine en 2015.
Fin juin 2015, l’attaque terroriste sur des touristes britanniques en Tunisie conduisit le Royaume-Uni à rapatrier massivement des milliers de ses ressortissants présents dans le pays. Au début de novembre 2015, après la destruction par l’EI d’un avion transportant des touristes russes (224 morts) au-dessus du Sinaï, la même décision fut prise concernant plusieurs dizaines de milliers de touristes britanniques séjournant en Egypte.
A la suite du vote du 3 décembre 2015, trois personnes ont été poignardées dans l’attaque à la station de métro Leytonstone de Londres par un britannique radicalisé d’origine somalienne, en représailles à l’extension des frappes britanniques en Syrie (5 décembre 2015).
Dans ces conditions, le gouvernement tente tant bien que mal d’apaiser les relations entre les communautés sur le territoire national. A titre d’exemple, en vue des élections législatives de 2015, le parti conservateur avait misé sur la candidature emblématique d’Afzal Amin. Ce dernier, britannique d’origine pakistanaise, avait servi comme officier dans les forces armées britanniques pendant 11 ans, notamment en Afghanistan, participant même à l’entraînement des princes William et Harry. Il était également président de l’Association musulmane des forces armées (Armed Forces Muslim Association, AFMA), dont la vocation est de rassembler les militaires musulmans servant sous le drapeau britannique. Le scandale, révélé par la formation identitaire English Defence League, avant les élections, concernant le projet d’Amin d’instrumentaliser l’extrême droite pour parvenir à être élu, constitua un revers sérieux pour le parti conservateur (cf. The Guardian, 22 mars 2015).
En outre, les inquiétudes s’accroissent avec la prolifération manifeste de foyers d’agitation islamiste sur l’ensemble du territoire national, processus favorisé, entre autres, par le prosélytisme islamique dans les universités (cf. Le Figaro, 30 décembre 2015) ; par l’augmentation inédite du nombre de tribunaux islamiques (une centaine à ce jour), sous la houlette du Conseil national de la charia (National Sharia Council), ainsi que par les multiples tentatives des islamistes radicaux pour faire renaître de ses cendres le mouvement extrémiste al-Muhajiroun. Cette organisation salafiste préconisant le djihad a été interdite dans le cadre du Terrorism Act 2006, tout comme d’autres organisations britanniques considérées comme des menaces pour la sécurité nationale, telles que Islam4UK et Need4Khalifah.
En conclusion, la contribution militaire du Royaume-Uni au combat mené contre l’EI par la coalition sous l’égide des Etats-Unis indique que le conflit syrien est devenu un enjeu stratégique global, avec des répercussions importantes au plan des équilibres géostratégiques. Avec l’engagement du Royaume-Uni, quatre des cinq puissances nucléaires siégeant au Conseil de sécurité des Nations Unies combattent désormais l’EI sur le théâtre syrien, tandis que la Chine demeure, pour l’heure, en retrait.
Cet engagement se déroule cependant dans un contexte politique troublé, notamment à la suite du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en septembre 2014 et par la perspective du référendum, prévu en 2016, sur une sortie éventuelle du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit). Ces deux consultations font surgir de nombreuses incertitudes quant à l’avenir même du pays, de ses forces armées et de l’UE en général, au moment même où s’accroît la menace terroriste sur le continent européen.
REPERES CHRONOLOGIQUES:
7 juillet 2005 : Attentats islamistes de Londres
30 août 2013 : vote négatif du parlement britannique concernant des frappes aériennes contre le régime syrien.
18 septembre 2014 : référendum sur l’indépendance de l’Ecosse.
26 septembre 2014 : vote positif en faveur de l’engagement britannique dans la coalition internationale contre l’EI en Irak.
7-9 janvier 2015 : attentats de Paris
7 mai 2015 : élections législatives au Royaume-Uni. La majorité conservatrice est renforcée au Parlement.
26 juin 2015 : mort de 30 touristes britanniques lors d’une attaque revendiquée par l’EI en Tunisie.
17 juillet 2015 : révélations concernant la participation de pilotes de la RAF à des frappes de la coalition contre l’EI en Syrie.
27 septembre 2015 : la France étend ses frappes aériennes à la Syrie.
30 septembre 2015 : début des frappes aériennes russes en Syrie
13 novembre 2015 : attentats de Paris
23 novembre 2015 : publication de la Strategic Defence and Security Review (SDSR)
20 novembre 2015 : vote de la résolution 2249 au CSNU
3 décembre 2015 : vote positif britannique en faveur de l’extension des frappes aériennes en Syrie.
Juin 2016 : publication prévue du rapport Chilcot sur l’engagement britannique dans la guerre en Irak en 2003.
2016 : référendum sur le Brexit