En 1993, le leader ultranationaliste russe Vladimir Jirinovski exposait, dans un ouvrage intitulé Le dernier saut vers le sud, une nouvelle doctrine géopolitique qui allait influencer de nombreuses personnalités politiques et militaires dans la Russie post-soviétique (cf. Thomas Parlande puissance de l’hémisphère Nord devrait posséder une zone d’influence exclusive et exercer une domination sur ses marges méridionales, car « le sud, c’est bien notre problème », déclaraitil. Dans son analyse, le contrôle des évolutions du monde musulman constitue une priorité pour la Russie, qu’il s’agisse des peuples musulmans de la Fédération de Russie, du monde arabe ou des mondes perse et turc, et, plus à l’est, de l’Afghanistan.
En 1990, avec le déclenchement de la première guerre du golfe, l’Union soviétique, au bord de l’implosion, perd la place qu’elle occupait au Moyen-Orient. Depuis plusieurs décennies, son soutien à la cause palestinienne, à l’Égypte (jusqu’en 1972), à la Syrie et à l’Irak, en particulier, Qamichili lui conférait un rôle majeur Turquie dans la région. Engagée, Hassaké depuis l’arrivée au pouvoir Alep de Vladimir Poutine en Ar-Raqqah 2000, dans une politique de reconquête de son Lattaquié Deir ez-zar influence sur la scène interHama nationale, la Russie, semble Homs avoir repris sa poussée multiséculaire vers le sud Liban et vers les mers chaudes, en direction de la mer de la mer Noire (annexion de la Crimée en 2014) et vers la Méditerranée, observée dès le règne de Catherine II, au XVIII e siècle.
Depuis le 30 septembre 2015, l’intervention russe en Syrie, première opération militaire menée par la Russie post-soviétique hors des frontières de l’ex-URSS, pourrait-elle constituer ce « dernier saut vers le sud » ? La détermination et les moyens mis en œuvre actuellement par la puissance russe laisse d’ores et déjà entrevoir, que les bénéfices de cette opération militaire, au plan géostratégique, seront importants pour la Russie et que ceux-ci iront bien au-delà du maintien au pouvoir du régime allié de Bachar al-Assad et de la protection de la base navale russe implantée à Tartous.
De manière inattendue, l’opération militaire russe pourrait donner lieu à un remodelage géopolitique de l’ensemble de la région, qui serait aux antipodes de l’ambitieuse Initiative de Grand Moyen-Orient (Greater Middle East Initiative), développée à partir de 2003 par l’Administration Bush.
Une complexification du conflit syrien
Un an après la mise en place, à l’initiative des États-Unis, d’une large coalition contre l’État islamique, les perceptions russe et occidentale semblaient converger sur la nécessité d’éliminer l’État islamique (EI). Jugeant la situation « extrêmement dangereuse » et qualifiant l’EI d’« ennemi comparable à Hitler », le président Poutine a appelé, à la tribune des Nations unies le 28 septembre 2015, à la mise en place d’une nouvelle coalition internationale pour combattre le terroris me. Ce projet a toutefois buté sur deux pierres d’achoppement majeures.
Centrée auandis que la France a considéré, pour sa part, que ce dernier était à l’origine du problème et qu’il ne pouvait pas faire partie de la solution.
Par ailleurs, ttobre 2015).
C’est donc dans un contexte d’incompréhension mutuelle et de crispations, qu’après plusieurs semaines de renforcement de la présence militaire russe en Syrie (cf. Jeremy Binnie), Vladimir Poutine a lancé, le 30 septembre 2015, une campagne de frappes aériennes sur des objectifs fournis par la Syrie, afin d’appuyer l’action des forces armées syriennes et de reconquérir les territoires, en particulier dans le centre du pays.
Le président Poutine a annoncé qu’il n’envisageait pas la participation de forces terrestres russes sur ce théâtre d’opération mais, dans les faits, des éléments de l’armée de terre sont présents sur le sol syrien. La marine russe a participé aux opérations avec la flotte de la Caspienne (cf. Sam LaGrone) : le 7 octobre, le ministre de la Défense russe a ainsi annoncé que 4 croiseurs avaient lancé 26 missiles de croisière à longue portée (1 500 km) sur 11 cibles (cf. Jeremy Binnie et Neil Gibson).
Des inquiétudes montantes sur un possible remodelage régional
La peur du retour au statu quo ante bellum
La possibilité que l’équilibre géostratégique régional, résultant de l’opération militaire russe, soit encore moins favorable aux intérêts des États de la coalition contre l’EI, que la situation qui prévalait avant le déclenchement du conflit syrien en 2011, soulève de vives inquiétudes.
En ce qui concerne les États-Unis, le secrétaire américain à la Défense, Ashando). Le fait que les frappes aériennes russes prennent pour cibles des groupes rebelles soutenus par les États-Unis, envenime les relations entre les deux puissances et remet en question la stratégie américaine en Syrie. De même, la livraison de missiles antichars américains TOW à des groupes combattants entrave largement le soutien apporté par la Russie au régime syrien.
Devant le risque d’escalade, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont condamné l’intervention de la Russie, la jugeant susceptible de prolonger le conflit en Syrie, d’aggraver la situation humanitaire et d’accroître la radicalisation (cf. Brooks Tigner). Ils ont demtobre 2015).
Le spectre d’une recomposition régionale
Cette opération militaire s’inscrit dans un contexte plus large, car sur le théâtre syrien, interviennent également les forces armées iraniennes, diverses milices chiites, dont certaines viennent d’Irak, ainsi que des combattants du Hezbollah libanais. Cette évolution confirme la constitution d’un axe pro-iranien s’étendant du Liban à l’Iran en passant par la Syrie et par l’Irak, comme le souligne, dans ses travaux, le géographe français Fabrice Balanche. Par son intervention, la Russie apporte, un soutien à cet axe chiite. Le 27 septembre, un accord de partage du renseignement a été conclu entre la Russie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Une cellule regroupant des officiers renseignement de ces pays a été mise sur pied à Bagdad à proximité du ministère de la Défense irakien (cf. Missy Ryan).
En ce qui concerne l’Iran, près de 2 000 combattants (cf. Martin Chulov), issus notamment des Gardiens de la Révolution (Pasdarans), ont été déployés dans le Nord et le Centre de la Syrie et se sont joints à des combattants du Hezbollah. Il s’est agi pour ces forces d’arracher aux rebelles, avec l’appui des frappes aériennes russes, des villes et des régions-clé, telle que Jisr al-Choghour (province d’Idlib) et Alep (cf. Raja Abdulrahim), deuxième ville du pays et bastion de l’ASL, et de sécuriser l’axe entre Hama et Alep.
L’Iran aurait également favorisé l’émergence du groupe Quwat al-Ridha, constitué par des Chiites syriens venant en majorité de Homs, et qui peut être considéré comme la branche syrienne du Hezbollah. Ce groupe s’est illustré dans la reprise de Homs et plus à l’est, dans celle des gisements de gaz de al-Shaer. Il a combattu pour reprendre des villes à majorité chiite, telles que Nubl, al-Zahra, al-Fu’ah et Koufriya, and Alipour).
Cette confessionnalisation du conflit suscite de vives inquiétudes chez les puissances sunnites de la région, notamment, la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar (cf. Moscow Times du 5 octobre 2015). Quant à Israël, l’Église orthodoxe russe présentant l’intervention comme « une guerre sainte », cet affichage introduit une dimension chrétienne dans cette crise, met l’influence des États-Unis dans la région en péril et menace ainsi les intérêts israéliens (cf. Ely Karmon).
En soutenant la constitution d’un axe chiite par opposition à l’alliance de puissances sunnites qui combattent aux côtés de l’Occident au sein de la coalition contre l’EI, la Russie apporte, d’une certaine manière, sa propre réponse au Projet 4de Grand Moyen-Orient lancé dans les années 2000 aux États-Unis. Ce plan prévoyait l’instauration de la démocratie et de l’économie de marché, dans une zone s’étendant du Maghreb jusqu’à l’Afghanistan, pour briser notamment l’immobilisme politique et favoriser l’entrée de cette vaste région dans la mondialisation. À l’époque, le président Bush affirmait : « Tant que le Moyen-Orient demeurera un lieu de tyrannie, il sera caractérisé par l’immobilisme, la colère et la violence prête à l’exportation. Avec la prolifération des armes susceptibles de porter atteinte de manière catastrophique à notre pays et à nos alliés, il serait irréfléchi d’accepter le statu quo ». L’Irak, l’Iran, la Libye et la Syrie faisaient alors partie des « States of Concern » (« États source d’inquiétude »), expression succédant à celle de « Rogue States » (« États voyous »).
Aujourd’hui, ttoujours la même question : « comment vaincre militairement l’EI ? » (cf. Le Figaro du 27 septembre 2015), l’intervention russe en Syrie a certainement mis en lumière la détermination de la Russie à redevenir un acteur majeur au Moyen-Orient, et par le biais de la crise syrienne, à mettre fin à ce qu’elle perçoit comme « l’unipolarité » du monde. La possibilité d’une extension des frappes aériennes russes en direction du théâtre irakien et le renforcement de la présence russe observé en Afghanistan aux plans militaire et sécuritaire, replacent sous les feux de l’actualité la théorie géopolitique de Vladimir Jirinovski du « dernier saut vers le sud ».
Éléments de bibliographie
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Barluet Alain : « Comment vaincre militairement l’État islamique » in Le Figaro, 27 septembre 2015.
Binnie Jeremy : « Russian Airpower Settles In for Syrian Campaign » in IHS Jane’s Defence Weekly, 8 octobre 2015 (www.janes.com/article/55147/russian-airpower-settles-in-for-syrian-campaign).
Binnie Jeremy et Gibson Neil : « Air-Launched Weapons: Russian Navy Demonstrates Cruise Missile Capability with Syria Strikes » in IHS Jane’s Defence Weekly, 7 octobre 2015 (www.janes.com/article/55106/russian-navy-demonstrates-cruise-missile-capability-with-syria-strikes).
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Tigner Brooks : « EU Foreign Policy Chief Recognises Russian Role in Any Syrian Settlement » in IHS Jane’s Defence Weekly, 12 octobre 2015 (www.janes.com/article/55202/eu-foreign-policy-chief-recognises-russian-role-in-any-syrian-settlement).