La (re)lecture de cet ouvrage, paru en 2008, à la suite du conflit russo-géorgien est particulièrement enrichissante au vu des incertitudes qui caractérisent les relations actuelles entre l’Occident et la Russie. Laure Mandeville, grand reporter et correspondante du journal Le Figaro en Russie de 1997 à 2000, a couvert, à ce titre, les nombreuses crises qui ont secoué le monde post-communiste. Forte de cette expérience, elle livre avec clarté, dans La Reconquête russe, une analyse rétrospective de l’évolution politique de la Russie post-soviétique.
La première guerre de Tchétchénie a marqué le retour en force de la tentation néo-impériale russe. Avec cette guerre sanglante (11 décembre 1994-31 août 1996), « la Russie renoue avec son obsession pour l’espace », écrit-elle. 1996 marque la fin de la période démocratique en Russie. Cette année-là, le pays devient l’otage du grand capital oligarchique russe, qui fait réélire Boris Eltsine dans le but de s’approprier les fleurons de l’économie russe. C’est ce que Laure Mandeville qualifie de « prédation oligarchique ».
À ce processus délétère va venir se greffer un autre phénomène : celui de la « prédation tchékiste », en référence à la police politique – la sinistre « Tchéka » – mise en place en 1917. L’État russe est progressivement devenu l’otage des services de renseignement et des lobbies militaires. La nomination d’Evgueni Primakov (mort en 2015), ancien patron des services de renseignements extérieurs de 1991 à 1996, par Boris Eltsine, au poste de Premier ministre en 1998, consacre le grand retour des « tchékistes » au sommet du pouvoir et préfigure l’arrivée et la montée en puissance fulgurante de Vladimir Poutine.
À compter du 31 décembre 1999, à la suite de la démission de Boris Eltsine, ce dernier, qui fut directeur du Service fédéral de sécurité (FSB, ex-KGB) en 1998, puis chef du gouvernement russe, assure les fonctions de président de la Fédération de Russie par intérim jusqu’à son élection controversée en mai 2000. Son installation durable au pouvoir se double d’une volonté de puissance prompte à détruire la moindre velléité d’opposition. C’est l’amorce d’une reconquête progressive de l’ensemble de l’appareil d’État et de tous les leviers du pouvoir au sein du vaste empire russe par les hommes des services de renseignement fidèles à Vladimir Poutine et de ses affidés pétersbourgeois.
Ces évolutions majeures, dont Laure Mandeville souligne que les dirigeants politiques occidentaux n’ont jamais su prendre la réelle mesure, ont eu une influence déterminante sur les équilibres géostratégiques. L’Occident se trouve aujourd’hui confronté aux conséquences de ce manque de lucidité et de clairvoyance. En ce sens, cet ouvrage sonne comme une mise en garde pour l’avenir. Il est un appel à un plus grand effort en matière d’analyse prospective en ce qui concerne notre grand voisin russe.