Anne Nivat, grandat de six ans (2018-2024).
En l’absence du ctonnante, de réelle vague de contestation parmi la population. Le livre d’Anne Nivat et le film documentaire (2) dont il est tiré, permettent de tirer au clair les raisons de ce phénomène.
Pour les besoins de son enquête sociologique, il aura fallu à l’auteure traverser d’Est en Ouest, pendant quatre mois, la Russie, cet État-continent (17 millions de km2, 11 fuseaux horaires), prendre le temps de s’arrêter et d’interviewer en russe, langue qu’elle maîtrise à la perfection, des électeurs russes de toutes catégories sociales.
Une constante parmi la galerie de portraits dressés dans cet ouvrage interpellera le lecteur : celui du manque chronique d’argent et de moyens chez les personnes interviewées (et, par contraste, leur générosité et leur hospitalité avec leurs invités de passage). Une impression de résignation s’en dégage, qu’il s’agisse des retraités, des enseignants, des employés ou des petits entrepreneurs. Comme au temps de l’Union soviétique, la peur d’exprimer ouvertement ses opinions politiques revient et il semblerait que la situation n’ait finalement que très peu changée pour les classes populaires russes même si les magasins regorgent aujourd’hui de marchandises. En province, le petit peuple vivote, survit, se débrouille par des expédients, loin de la vie trépidante des couches aisées et des élites au pouvoir à Moscou et à Saint-Pétersbourg, deux métropoles-vitrines de la Russie, qui concentrent les richesses, les trésors culturels, les talents et les innovations technologiques.
Les problèmes sociaux, qui étaient déjà chroniques du temps de l’Union soviétique, ont persisté. Le taux de fécondité (1,75 enfant par femme contre 2 en France) s’est stabilisé mais n’augmente pas beaucoup. L’espérance de vie est de 72 ans (presque 83 ans en France) avec une surmortalité chez les hommes. La population russe, actuellement de 146,8 millions d’habitants, pourrait descendre à 135 millions en 2030 et même, selon Anne Nivat, à 107 millions à l’horizon 2050. Des régions entières enregistrent un phénomène de dépopulation.
En dépit de tout de leur moral – promue par Vladimir Poutine. C’est la raison pour laquelle ils ont plébiscité le maintien au pouvoir de leur Président.
« L’élection présidentielle de 2018 est un non-événement pour la plupart des Russes rencontrés » commente Anne Nivat. « Ce qui leur importe le plus : vivre en paix. Les changements incessants des quatre dernières décennies ont marqué ce peuple qui rêve avant tout de stabilité et ils l’ont cette stabilité, depuis le début du nouveau siècle, sous Poutine. Des Russes qui savent que leur Président n’est pas irréprochable mais qui n’étaient pas prêts cette fois-ci à plonger dans l’inconnu. »
« Dans le microcosme russe de la capitale, on m’a dit que Poutine n’achèverait pas son mandat de Président illimité depuis le vote d’une réforme en 2018 ; en Turquie, Recep Tayyip Erdogan (64 ans), au pouvoir depuis 2002, entend peut-être le rester (peut-être jusqu’en 2029) par le biais de réformes constitutionnelles. Ce phénomène est compréhensible lorsque les peuples se replient sur eux-mêmes, conséquence probable du fait que la globalisation n’a pas un visage humain (3).
Dans ce contexte et près de trente ans après l’effondrement de l’Union soviétique, le panorama de la société russe que nous propose Anne Nivat était nécessaire à la compréhension des équilibres géostratégiques actuels et des relations Russie-Occident.
(1) Actuellement envoyée spéciale pour Le Point, Anne Nivat fut correspondante à Moscou pour le quotidien Libération. Reporter de guerre, elle couvrit sur le terrain la deuxième guerre en Tchétchénie.
(2) Un continent derrière Poutine ?, film documentaire d’Anne Nivat, Fabrice Pierrot et Tony Casabianca, diffusé sur France 5 le 17 mars 2018.
(3) « Le socialisme à visage humain » est une expression employée par Alexander Dubcek, président du Parti communiste tchécoslovaque en janvier 1968 et figure de proue du Printemps de Prague.