Le 24 février 2022, la Turquie a fermement condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan jugeant cette décision inacceptable, a exprimé son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, comme il l’avait fait, deux jours plus tôt, à la suite de la reconnaissance par la Russie de l’indépendance des régions séparatistes pro-russes de Donetsk et Louhansk[1]. Le 26 février, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a demandé à son homologue russe Sergueï Lavrov de mettre fin à l’opération militaire russe en Ukraine.
Le 24 février 2022, la Turquie a fermement condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan jugeant cette décision inacceptable, a exprimé son soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, comme il l’avait fait, deux jours plus tôt, à la suite de la reconnaissance par la Russie de l’indépendance des régions séparatistes pro-russes de Donetsk et Louhansk[1]. Le 26 février, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a demandé à son homologue russe Sergueï Lavrov de mettre fin à l’opération militaire russe en Ukraine.
Depuis 2014, la Turquie est vivement opposée à l’annexion de la Crimée par la Russie et au soutien apporté par le pouvoir russe aux forces séparatistes pro-russes contre les forces gouvernementales ukrainiennes dans la guerre du Donbass. En 2020, le président turc avait réitéré le refus de la Turquie de reconnaître l’annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en déclarant : « La Turquie n’a pas reconnu l’annexion illégale de la Crimée et elle ne le fera jamais »[2]. La Turquie a rejoint, par la suite, la nouvelle Plateforme de Crimée (Krimska Platforma), lancée par l’Ukraine en août 2021. Cette initiative diplomatique a pour objectif l’annulation de l’annexion de la péninsule criméenne[3].
Depuis son entrée en fonction en 2019, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a rencontré son homologue turc à plusieurs reprises. Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays entretiennent des liens étroits depuis 2011 par le biais d’un mécanisme de coordination permanent, le High Level Strategic Council[4].
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les principales motivations qui sous-tendent le soutien de la Turquie à l’Ukraine. Par le biais de son partenariat stratégique avec l’Ukraine, la Turquie développe son industrie de défense[5]. Par ailleurs, elle se dote d’un levier stratégique important vis-à-vis de la Russie, notamment en mer Noire, qu’elle redoute de voir se transformer en « lac russe », renforçant ainsi sa position au sein de l’OTAN, dont elle membre depuis 1952. Enfin, elle se perçoit en puissance médiatrice entre l’Ukraine et la Russie.
° Un atout pour l’industrie de défense turque
En octobre 2020, lors d’une rencontre à Istanbul, les présidents Erdoğan et Zelensky se sont engagés à renforcer le partenariat stratégique qui lie les deux pays depuis 2010. L’urgence de la situation dans le Donbass, où la guerre d’attrition a fait quelque 15 000 morts depuis 2014, a conduit l’Ukraine à considérer son partenariat avec la Turquie comme de plus en plus vital. Elle a souhaité acquérir des drones turcs, ces derniers ayant fait la preuve de leur efficacité sur le champ de bataille notamment à Idlib en Syrie, dans le conflit du Haut-Karabakh, mais aussi en Libye et contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) au nord de l’Irak[6]. Depuis 2018-2019, elle achète à la Turquie des drones Bayraktar[7]. Et ce, en dépit des protestations de la Russie, mais aussi des inquiétudes américaines grandissantes sur les conséquences de l’utilisation des drones turcs sur les équilibres régionaux. En décembre 2021, les États-Unis ont effet approuvé un projet de loi stipulant que « les ventes de drones en Turquie sont dangereuses et déstabilisantes et menacent la paix et les droits de l’homme »[8].
En 2020, face à la situation en mer d’Azov, l’Ukraine a décidé d’acquérir des corvettes turques de la classe Ada, réputées pour leur maniabilité, que les deux pays produiront conjointement[9]. Des projets conjoints existent concernant la construction d’avions de transport militaire Antonov[10] et de turbomoteurs[11].
° Un levier stratégique pour contrebalancer l’influence de la Russie en mer Noire
Les accords de coopération militaire signés en 2020 ont permis de renforcer le partenariat stratégique entre les deux pays en vue de contrebalancer la domination de la Russie dans la région de la mer Noire. En effet, depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, la Turquie dénonce avec véhémence les intentions russes de transformer la mer Noire en « lac russe », comme l’indiquait le président Erdoǧan en mai 2016. Il avait alors déclaré : « Si nous n’agissons pas l’histoire ne nous le pardonnera pas ». Face à la montée en puissance russe dans la région, la Turquie appelait alors l’OTAN à renforcer sa présence en mer Noire. Dans une même logique, la Turquie soutient depuis plusieurs années l’adhésion de son partenaire ukrainien à l’OTAN.
En septembre 2016, le général Valeri Guérassimov, chef d’État-major des forces armées de la Fédération de Russie et vice-ministre de la Défense, indiqua que la flotte russe de la mer Noire était désormais plus puissante que les forces navales turques et que celle-ci était en mesure de frapper les détroits du Bosphore. Le général se félicita des nouvelles acquisitions de la flotte de la mer Noire, notamment des sous-marins capables de lancer des missiles de croisière Kalibr pouvant frapper des objectifs à 2400 km; de nouveaux avions, ainsi que du déploiement en Crimée du système de missiles de défense côtière Bastion, dont le rayon d’action est de 350 km, donc jusqu’au Bosphore[12]. Ces évolutions laissaient entrevoir la menace de voir la Russie développer, à partir de sa flotte de la mer Noire, des bulles anti-accès et déni de zones contre les Etats-Unis et leurs Alliés en Méditerranée orientale, rendant si cela se réalisait, l’accès au Canal de Suez, à la mer Noire et à la Méditerranée orientale, dépendant de la puissance russe[13].
°Une occasion pour la Turquie de jouer un rôle de médiatrice entre l’Ukraine et la Russie dans la guerre en Ukraine
La Turquie est forte de sa position géostratégique qui lui permet de protéger le flanc sud-est de l’Alliance atlantique, dont elle constitue la deuxième armée en termes d’effectifs après les Etats-Unis. Mais elle a également opéré, depuis 2016, un rapprochement avec la Russie. Dans la guerre en Ukraine, ce positionnement particulier incite la Turquie à se poser en puissance médiatrice. Le 26 février 2022, le président turc a déclaré que la Turquie s’était attelée à élaborer une déclaration d’un cessez-le-feu pour éviter des pertes en vies humaines et de nouvelles destructions en Ukraine[14]. Le 24 février 2022, l’Ukraine a demandé à la Turquie la fermeture des détroits des Dardanelles et du Bosphore aux navires russes, ainsi que celle de son espace aérien. La puissance turque dispose en effet d’un atout de poids : celui du contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles en vertu de la Convention de Montreux de 1936. De ce fait, la Turquie se trouve en mesure d’exercer un levier notamment sur la puissance russe, au moment où on observe une concentration inédite de navires de la Marine russe à proximité de l’Ukraine[15]. Cette convention garantit la libre circulation des navires marchands jouissent de la dans les détroits turcs, tandis que la circulation des navires de guerre est soumise à certaines restrictions qui varient selon que ces navires appartiennent ou non à des États riverains de la mer Noire. En temps de guerre, la convention contient des dispositions spéciales stipulant que la Turquie est autorisée à fermer les détroits à tout bâtiment de guerre étranger[16], notamment si elle est elle-même menacée. Ankara, qui avait certes qualifié ces derniers jours l’invasion russe de l’Ukraine d’inacceptable n’avait pas jusqu’au 27 février, qualifié la situation en Ukraine d’état de guerre. Désormais, elle est en mesure d’invoquer la Convention de Montreux pour limiter le transit des navires russes dans les détroits turcs soulignant qu’en temps de guerre, le passage des navires de guerre est laissé à l’entière discrétion du gouvernement turc[17]. Le ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt Čavusoğlu, a cependant souligné que la Turquie ne pouvait pas bloquer tous les navires de guerre russes accédant à la mer Noire en raison d’une clause de la Convention exemptant les bâtiments qui rejoignent leur port d’attache[18], auquel cas ils ont le droit de franchir les détroits[19].
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En conclusion, le partenariat stratégique avec l’Ukraine constitue pour la Turquie un atout dans plusieurs domaines-clé et favorise ses ambitions géostratégiques notamment à l’échelle régionale. Il est particulièrement bénéfique pour l’économie de défense turque. A noter que la Turquie est le premier investisseur étranger en Ukraine (avec plus de 4,5 milliards de dollars en 2021), où opèrent plus de 700 entreprises russes. Enfin, la Turquie, en soutenant – à l’instar des autorités ukrainiennes – les Tatars de Crimée, dont elle abrite une forte diaspora sur son territoire, renforce sa position en tant que protectrice des peuples turcophones, ce qui dynamise ainsi l’expansion de son influence au Caucase et en Asie centrale.