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François-Régis Dabas livre sa réflexion sur l’engagement de la France au Mali (2013-2022) dans un livre
Après le retrait précipité de la force Barkhane du Mali en novembre 2022, la perte de 58 soldats français sur ce théâtre d’opération continue de hanter les mémoires. Dans un livre aussi captivant que révélateur, un officier qui a commandé une unité de combat au cœur de la campagne militaire française explique pourquoi il était nécessaire de « combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national ». Le succès limité de cette intervention invite à réfléchir sur la capacité de la France à s’engager dans « la guerre de demain ».
De l’intervention française au Mali, les Français se souviennent que, dès 2013, des troupes avaient été déployées dans le cadre de l’opération Serval, puis de l’opération Barkhane, un an plus tard, pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes au Sahel et au Sahara, et ce, à la demande du gouvernement malien. Au cours de la dernière décennie, l’armée française perdit 58 soldats sur ce théâtre d’opération. Les cérémonies funèbres se succédèrent dans la Cour d’honneur de l’Hôtel national des Invalides à Paris en hommage à ces valeureux combattants tombés au combat, avec en point d’orgue la mort de 13 soldats français, le 25 novembre 2019. Le 4 janvier 2021, alors que trois soldats français venaient de perdre la vie au Mali, la sergente Yvonne Huynh, 33 ans, mère d’un garçon de 12 ans, fut la première femme tuée au combat depuis le début de l’intervention française au Sahel. Cette mère de famille est décédée dans l’explosion de son véhicule blindé, tout comme son jeune camarade, le brigadier Loïc Risser âgé de 24 ans, provoquant un choc dans l’opinion publique.
Morts pour la France
En France, l’année 2021 fut par conséquent celle du doute et de la peur de l’enlisement, d’autant que l’on apprit que les nouvelles autorités maliennes parvenues au pouvoir après le coup d’État du mois d’août 2020, s’appuyaient désormais, aux dépens des Français, sur les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner pour combattre les rebelles djihadistes du Nord-Mali. Le 9 novembre 2022, Emmanuel Macron annonça soudain la fin de l’opération Barkhane[1]. La France allait retirer ses troupes. Une question surgit : à quoi avait donc servi la mort de tous ces soldats français au fil de ces années si éprouvantes pour les familles de ces militaires ?
Dans son ouvrage intitulé Septentrion[2], le colonel de l’armée de terre, François-Régis Dabas, tente de dissiper les doutes, l’amertume et le chagrin en plongeant le lecteur dans un récit de guerre intense et en recontextualisant l’engagement français au Mali. Lui, reste convaincu que, « peu importe finalement l’engrenage qui mène à la fin d’Illion, ce sont les exploits des Achéens et des Atrides qui nous intéressent, pour goûter leurs vertus héroïques et faire grandir notre humanité ! »
Au sein du Groupement tactique « Désert ardent » (GTD Ardent), l’unité de combat qu’il commanda au Nord du Mali, le colonel Dabas a participé, entre septembre 2016 et février 2017, à une phase décisive de l’opération Barkhane. Il a mené un combat direct contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) sur un terrain-clé, l’Adrar des Ifoghas, en plein cœur de l’Azawad, l’un des principaux massifs montagneux du Sahara. « Dans les périphéries du Sud algérien et du Nord malien, c’est le territoire des Touaregs qu’aucun des deux Etats concernés ne contrôle véritablement », écrit-il[3]. A la suite de la guerre civile algérienne (1991-2002) et de la guerre en Libye en 2011, l’Azawad est devenu un repaire de groupes salafistes djihadistes alimenté par un afflux de combattants. C’est sur ce territoire que la guerre au Mali avait éclaté en 2012 après que les rebelles touaregs en eurent proclamé l’indépendance. La France y a agi en partenariat avec la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad et elle y a augmenté ses effectifs déployés dans le cadre de Barkhane de 3000 soldats au début de l’opération, jusqu’à plus de 5000 en février 2020.
Combattre en terre africaine pour protéger le territoire national
Tandis que l’opération Serval avait pour objectif de stopper la progression des islamistes vers Bamako depuis le Nord-Mali, l’opération Barkhane, à compter de l’été 2014, a été régionalisée sur une zone grande comme dix fois l’Hexagone. En France, après les attentats islamistes meurtriers de 2015 et 2016, le doute n’était plus permis: il fallait agir. Comme le rappelle l’auteur: « Pour les hommes et les femmes du GTD Ardent et pour moi-même, la mission est sacrée : nous partons combattre et anéantir le serpent islamiste en terre africaine pour protéger nos compatriotes sur le territoire national »[4]. Le gouvernement français met alors en exergue le rôle bénéfique de Barkhane au profit des populations locales qu’elle entend protéger des groupes terroristes[5].
Dans l’Adrar des Ifoghas, le GTD Ardent du colonel Dabas, fort de 800 combattants, s’est notamment retrouvé aux prises avec le groupe touareg Ansar Edin soutenu par l’AQMI. Sa mission était d’en neutraliser le potentiel de combat, dans le cadre d’une phase d’effort du plan de campagne stratégique, la phase « Septentrion »[6]. S’en sont suivis, pour les forces françaises, des combats acharnés dans un environnement désertique particulièrement hostile à toute présence humaine, où la température avoisinait souvent les 50°C.
Quelques années plus tard, l’enthousiasme du début de l’opération s’est progressivement estompé en raison de la férocité des combats et des pertes humaines qui en ont résulté. La presse française s’est alors mise à évoquer les difficultés pour la France d’évoluer au Mali dans « un environnement local gangrené par la corruption et les contentieux entre les chefs traditionnels, les trafiquants d’armes, de migrants et de drogue, sur fond de corruption du pouvoir central »[7], selon le journal Le Monde du 14 janvier 2020. Le piège menaçait alors de se refermer sur le gouvernement désormais confronté au dilemme suivant: poursuivre le combat en accroissant inévitablement le risque d’enlisement et de compromission avec des armées locales prédatrices ou se retirer. Ce qui aurait eu pour conséquence de « livrer les pays du Sahel et leurs populations au chaos et à l’emprise d’une dictature religieuse ». Puis, on annonça qu’une junte militaire, hostile à la France, avait pris le pouvoir à Bamako, le 19 août 2020, à la suite d’un coup d’État. Les autorités françaises annoncèrent une réduction prochaine des effectifs de la force Barkhane et se dirent ouvertes « à des négociations avec des groupes sahéliens, à l’exception des directions d’Al-Qaïda et du groupe Etat islamique »[8]. Ce positionnement a marqué le début de la fin de l’engagement de la France au Mali.
La question religieuse n’est pas le seul problème
Comment expliquer cet échec ? Peut-être aurait-il fallu aborder la guerre au Mali sous un angle différent. Pour l’éminent spécialiste de l’Afrique, Bernard Lugan[9], la grande erreur qui a été faite par les décideurs politiques français, « c’est de croire que le problème c’est la question religieuse ». « L’islamisme au Sahel », analyse-t-il, « n’est que la surinfection de plaies ethniques millénaires », ajoutant que même si demain les groupes djihadistes étaient tous détruits, les problèmes entre les peuples du Nord – des peuples guerriers nomades qui cultivent la vertu de la minorité et de la guerre – et les peuples du Sud, majoritaires et sédentaires, persisteraient. L’islam, dans ces régions, date de quelques siècles. En revanche, l’opposition entre Sudistes et Nordistes date du Néolithique. Après la disparition de l’immense Afrique occidentale française (AOF), de nouvelles frontières sont apparues et les rapports de force entre des peuples multimillénaires ont été bouleversés, mais on assisterait aujourd’hui à un retour à l’ordre ancien dans la zone sahélienne[10].En ce qui concerne l’avenir proche, alors que la France a récemment rapatrié au Niger ses moyens qui étaient au Mali et au Burkina Faso, on peut s’interroger sur la pérennité de cette stratégie, attendu que l’Etat nigérien est lui-même en guerre sur quatre fronts.
La poursuite de cette réflexion sur les conséquences pour la France de son engagement au Mali demeure nécessaire. En effet, alors que l’exercice militaire de grande ampleur « Orion », le plus vaste depuis 30 ans, vient de se dérouler sur fond de guerre en Ukraine, en vue de préparer les armées françaises à un conflit de haute intensité en durcissant leur entraînement, il faut affronter l’idée angoissante d’un engagement potentiel de nos forces dans « la guerre de demain ». C’est de cette réflexion que naîtra, il faut l’espérer, l’idée qu’il faut par tous les moyens, œuvrer en faveur de la paix et refuser de se laisser entraîner dans un conflit sanglant.