Ana Pouvreau : « Le sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg confirme le maintien de l’influence russe en Afrique », Le Contemporain, 6 août 2023.

https://www.lecontemporain.net/2023/08/a-pouvreau-le-sommet-russie-afrique.html

Beaucoup parlent du sommet Russie-Afrique 2023 comme d’un échec, mais où en est dans les faits l’influence russe sur le continent africain ? Réponse d’Ana Pouvreau.

Ana Pouvreau – Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.


Dans un contexte international où l’hégémonie des États-Unis et la prééminence des puissances occidentales dans le monde sont de plus en plus contestées, la deuxième édition du sommet Russie-Afrique, qui s’est tenue les 27 et 28 juillet 2023 à Saint-Pétersbourg, a constitué une étape de plus vers un basculement géopolitique majeur au nom de la recherche de la multipolarité. Cette tendance va certainement se confirmer lors du prochain sommet du groupe des BRICS, prévu les 22 et 24 août en Afrique du Sud.

À Saint-Pétersbourg, les chefs d’État africains ont certes été deux fois moins nombreux à faire le déplacement que lors du premier sommet Russie-Afrique de 2019 à Sotchi, comme l’a souligné le magazine britannique The Economist, le 28 juillet 2023, mais 49 délégations de pays africains étaient cependant présentes.

Vladimir Poutine a saisi l’occasion de raviver les liens entre la Russie et l’Afrique en misant sur les relations qui existaient déjà avec certains pays tels que l’Angola pendant la Guerre froide. Dans un contexte économique mondial incertain, le président russe a incité les Africains à se défaire du néocolonialisme exercé par les Occidentaux sur le continent.

Le président russe dispose vis-à-vis de l’Afrique de trois puissants leviers : l’argent, les armes et les céréales.

I. L’argent : les promesses d’effacement des dettes des pays africains et les perspectives d’investissements russes

De nombreux États africains ont choisi la voix de la neutralité dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. À Saint-Pétersbourg, le président russe s’est engagé à effacer les dettes à hauteur de 23 milliards de dollars concernant certains pays africains dont notamment : l’Angola (3,5 M$) ; l’Éthiopie (5 M$) ; l’Algérie (5,7 M$) ; la Libye (4,5 M$) et la Somalie (684 millions dollars). En 2019, Vladimir Poutine s’était déjà engagé à aider des pays africains à effacer leur dette.

En outre, la Russie s’était engagée en 2019 à doubler ses échanges commerciaux avec les pays africains pour atteindre 40 milliards de dollars en cinq ans, mais force est de constater que ceux-ci ont stagné à 18 milliards de dollars. Il n’en reste pas moins que ces pays sont en attente d’investissements et de technologies de la part de la Russie afin de s’industrialiser et d’améliorer leurs perspectives de croissance.

II. Les armes : l’offre sécuritaire

À Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine a annoncé la signature d’accords de coopération militaire avec plus de 40 pays africains. À noter que la Russie a fourni, entre 2017 et 2021, 44% de l’armement des pays africains. Les chiffres sont moindres pour les États-Unis (17%), la Chine (10%) et la France (6%). Les deux clients les plus importants de la Russie sont l’Égypte et l’Algérie. Plus récemment, le Nigeria, le Soudan et l’Angola se sont mis à occuper une place de choix.

Le sommet Russie-Afrique a marqué la détermination de la Russie à renforcer son ancrage sécuritaire en Afrique. Vladimir Poutine a par exemple offert gratuitement des armes au Burkina Faso, pays représenté par le capitaine Ibrahim Traoré, auteur du putsch d’octobre 2022 et nouveau président du pays. L’ancrage russe sur le continent se traduit par ailleurs par l’annonce de l’arrivée de la milice Wagner au Niger pour protéger les nouvelles autorités du pays d’une intervention étrangère à la suite du putsch du 26 juillet 2023. La SMP Wagner est déjà présente au Mali, en Libye, en République centrafricaine (RCA), au Soudan, au Soudan du Sud, à Madagascar et au Mozambique. Sa présence est présumée au Burkina Faso, en Guinée-Bissau, en Guinée, et au Zimbabwe. Des mercenaires russes se trouveraient également au Botswana, au Burundi, au Tchad, aux Comores, en République démocratique du Congo (RDC), au Congo, en Guinée, en Guinée-Bissau, au Nigeria, au Zimbabwe et même au Cameroun.

À noter que dans un contexte de tensions internationales, l’offre sécuritaire russe est souvent liée aux promesses d’effacement de dettes. Par exemple, dès 2006, Vladimir Poutine avait obtenu de la part de l’Algérie l’achat de plus de 6 M$ d’armement contre l’annulation d’une dette évaluée à près de 5 M$.

III. L’approvisionnement alimentaire

Le 17 juillet 2023, la Russie s’est retirée de l’Initiative céréalière de la mer Noire (Black Sea Grain Initiative). Cet accord entre la Russie et l’Ukraine avait été négocié par la Turquie et les Nations unies et conclu en juillet 2022. Il a permis l’exportation de plus de 32 millions de tonnes de céréales et d’autres denrées alimentaires ukrainiennes, en autorisant les cargos à naviguer le long d’un corridor sur la mer Noire. Par son retrait récent, Poutine a souhaité infliger des dommages économiques supplémentaires à l’Ukraine, mais cela a eu pour conséquence de grever l’approvisionnement de plusieurs pays africains en céréales en provenance d’Ukraine. C’est le cas de la Libye qui est le pays le plus dépendant des céréales ukrainiennes (38,4%) et russes (32,1%) en 2021, mais aussi bulgares (12%).

Au sommet de Saint-Pétersbourg, les présidents de l’Afrique du Sud et de l’Égypte ont appelé la Russie à la reprise de l’accord sur les céréales. Pour pallier le manque engendré par la fin de l’Initiative céréalière de la mer Noire, Vladimir Poutine a annoncé vouloir approvisionner l’Afrique en céréales. Il a, à cet égard, promis quelque 50 000 tonnes de céréales gratuites à six pays africains : le Burkina Faso, la République centrafricaine (RCA), l’Érythrée, le Mali, le Zimbabwe et la Somalie, frappée par la famine, et il a annoncé qu’il livrerait gratuitement des tonnes d’engrais stockées dans les ports de la Baltique.

En conclusion, loin d’être le « flop » comme le sous-entendent des médias occidentaux, le sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg confirme le maintien de l’influence russe en Afrique et annonce des changements majeurs à venir dans les relations entre les pays africains et l’Occident. Le sommet des BRICS devrait voir se préciser la volonté des États africains de mettre sur pied un nouveau système économique mondial fondé sur de nouveaux mécanismes de coopération économique et sur une dédollarisation générale de l’économie mondiale.

Laisser un commentaire